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Le Piano

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Message  Piping Dim 8 Fév - 20:09

Il fait nuit.
Une ombre se glisse le long des murs ternes et misérables de ce quartier. Quelques mendiants traînent encore ici et là. Certains discutent à voix basse, une bouteille entre les mains pour laquelle ils n'ont même pas eu besoin de toucher au maigre pécule amassé aujourd'hui. D'autres ronflent; la leur, de bouteille, est vide.

Ici, personne ne s'étonne de cette silhouette féline qui frôle les corps, effleure les joues rougies par le froid, et laisse dans son sillage une vague odeur de brûlé. Tout le monde la connaît, de nom au moins, mais personne jamais ne l'a approché. Il faudrait être fou pour se risquer à la voir.
D'aucuns vous diraient que cette ombre est celle d'une femme hantée par ces cauchemars qui à la tombée de la nuit se réfugie là où personne ne peut l'atteindre. Peut-être ont-ils raison. Ou peut-être pas. Quoiqu'il en soit, n'allez pas vérifier, vous n'en reviendriez jamais.

L'ombre tend l'oreille.
Bientôt il va pleuvoir. Les rats l'ont senti, elle les entend qui courent se mettre à l'abri. En silence, elle maudit ce Dieu qui pisse trop fort. A cause de lui, ce soir encore, les rats vont ronger son trésor. Et demain, le travail d'une semaine entière sera anéanti. Il faudra recommencer, inlassablement, jusqu'à ce que le travail soit achevé.
La première goutte d'eau s'écrase sur le sol devant elle. Derrière elle, les mendiants grognent; ils vont devoir trouver un abri, de quoi dormir au sec. Et dans ces ruelles éternellement boueuses, ce n'est pas chose facile. Tant pis pour eux. Chacun son lot de misère.

Elle n'attend pas. L'eau frappe plus fort. Sa peau est trempée bien vite.
L'ombre se hâte. Elle déteste ce contact glacée qui efface les odeurs, mouille jusqu'à la moindre parcelle de son corps, et éteint le feu ardent de son âme, pour faire écho à cette sensation de froid qui l'enveloppe.
Elle s'enfonce plus loin. Sa marche devient une course légère. Et ses pieds nus frappent le sol au même rythme que la pluie.

Soudain. Plus rien.

La rue est vide. L'ombre a disparut.
La pluie continue, mais le cœur n'y est plus. A quoi bon arroser ces ruelles, s'il n'y a personne à tremper?
A mesure que le temps passe, elle se fait plus fine, jusqu'à devenir un crachin diaphane qui s'insinue jusque dans les fissures des murs, histoire de...

Là.
Une porte qui se referme.
Pas de lumière, mais un soupirail. Des barreaux mais pas de vitre pour protéger du souffle sournois qui parcoure désormais les ruelles dans l'espoir d'un dernier mendiant que le froid pourrait saisir.
D'ailleurs, il n'a rien vu. Il n'a pas remarqué cette ouverture, il passe à côté, poursuit son chemin entre les taudis. Personne ne le sait, mais ce soir, quelques rues plus loin, il trouvera sa victime: un bébé abandonné là par ses parents. Même emmitouflé dans ses langes il n'y résistera pas, le vent est le plus fort.

Un rayon de lune s'infiltre entre les barreaux.
Une mèche de feu. Une main qui glisse sur l'ivoire.
Et...

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Dernière édition par Piping le Jeu 5 Mar - 1:11, édité 1 fois
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Message  Piping Lun 9 Fév - 22:41

Au centre de la pièce, un vieux piano.
Malgré les années passées là, terré dans un sous-sol humide et sombre, il respire encore. Bien sûr, il sent le bois vermoulu, l'ivoire souillé par les rats, il est à moitié bancal, mal accordé, et dévoile un sourire édenté. Mais il a gardé l'essentiel. Son âme.
Les doigts qui effleurent délicatement sa carcasse le savent. C'est pour ça qu'ils sont là. Pour que revive ce piano. Celui-ci voudrait leur dire merci, mais il s'en sait incapable. Il ne peut que se laisser aller sous leur caresse.

L'ombre en fait le tour. Son visage reste caché dans la semi-pénombre. On entend juste ses pieds nus frôlés la surface d'une flaque d'eau ou remués un tas de feuilles mortes datant de l'automne dernier. Les rats ont fuit un peu plus loin, parce qu'ils connaissent son secret. La raison de cette odeur acre. Certains en ont fait les frais d'ailleurs.
Elle jette un regard vers le croissant de lune. Il lui apportera le peu de lumière nécessaire. Même si elle connaît son compagnon par cœur, elle aime contemplé sa mécanique parfaite. Juste pour le plaisir de se dire que, peut-être, un jour, elle pourra entendre le son cristallin qu'il émettait dans une autre vie.

Un instant, elle disparaît. On la croit partit. Le vent s'est tu. Le silence est de plomb. Plus rien ne bouge. Puis la voilà de nouveau.
La lune n'éclaire que ses mains. Ses gestes précis, légers et tendres.

Le buste plongé dans les entrailles de l'instrument, elle détache les dernières cordes rouillées. Un dépôt cuivrée s'étale sur ses doigts. Elle se relève, dépose les cordes rouillées dans un coin et prend les nouvelles qu'elle a mis deux nuits entières à confectionner. Ce sont les cinq dernières. Celles qui donnent les notes les plus graves. Les cordes sont plus longues, plus grosses, afin de résonner plus lentement. Elle attache les nouvelles cordes gainées de cuivre.
Son bras glisse dans le mince rayon de lune, elle appuie sur les touches adéquates. Le son est juste. Même si bientôt il faudra le raccorder...

La nuit s'avance doucement...
Un chat miaule sur la gouttière d'en face. Un autre lui répond quelques toits plus loin. Une ombre fugitive lui annonce le passage d'un rat téméraire. Elle n'y prête pas attention. Il ne s'approchera pas.

Le panneau de bois sombre reprend sa place, cachant les cordes à sa vue.
Ce soir, la fébrilité la gagne. Elle est si près du but. Elle pourra s'enfuir bientôt, enfin. Après plusieurs mois de patience.
L'ombre gratte la mousse fixé sur le rebord du clavier, enlève la poussière qui s'y est accumulé. Elle a trouvé une brosse dure aujourd'hui dans une poubelle, alors elle frotte ce bois vermoulu avec. Elle sait qu'il est encore en bon état.

La lune se cache désormais derrière les toits.
Elle n'a pas vu l'aube arriver, mais un mouvement de sa crinière suffit à nous indiquer qu'elle vient de s'en apercevoir. Elle essuie ses mains sales sur ses cuisses, et jette la brosse noircie dans le fond de la pièce. On entend un "plof", elle a dut atterrir dans une flaque d'eau. Qu'importe, sur le bois brut du piano, il n'y a plus la moindre trace de moisissure.
Un rayon lumineux finit par trouver le chemin de son sourire.
Elle le fuit. Se dirigeant vers un coin plus sombre.

La rue commence à s'animer. Les enfants sautent déjà à pieds joints dans les flaques d'eau. Les mendiants se dirigent vers les quartiers plus chic. Les rats se sont tapis dans leurs tanières. On entend les grognements d'un chien, les conversations des mégères sur le perron de leurs portes.
L'ombre frissonne. Il fait soudain beaucoup plus froid.
Mais aujourd'hui qu'on ne l'attende pas ailleurs, elle ne sortira pas. Elle veut avoir fini. Ce soir, absolument.
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Message  Piping Jeu 12 Fév - 14:56

Elle essaye de faire abstraction de tout ce bruit au dehors. De cette agitation, de ce trop-plein. Mais ses oreilles bourdonnent, souffrent. Elle ne se plaint pas, l'ombre n'a jamais appris à se plaindre. L'ombre endure. Et puis... elle peut bien faire un effort. Aujourd'hui. Juste aujourd'hui, juste pour lui. Son piano...

Elle pose un regard tendre sur ce clavier défraichi, cet ivoire fané.
Au fond de la pièce, alignées sur un toile rêche qui les protège quand même de l'humidité, des rats, de la poussière, de la crasse et de la saleté, elles sont là. Le nouveau sourire du vieux piano. Sept octaves pour deux mains. Ses mains.
Elle glisse une mince lame d'acier entre l'ivoire et le bois sombre puis avec une douceur infinie soulève et retire la touche abimée. Les unes après les autres, avec la même technique, et toujours cette lenteur, cette précision qui font de chacun de ces gestes une caresse presque maternelle.
Le vieux piano lui offre son dernier sourire, avant le renouveau.
Ne reste plus que les touches noires. La gamme chromatique. De l'ébène. Elle les saisit entre le pouce et l'index puis les fait glisser jusqu'à elle, les sortant de leur encoche sans pour autant briser le mécanisme.

Sur le sol humide, désormais, le piano vient d'abandonner son passé pour un présent beaucoup plus radieux.

Elle vient d'atteindre la dernière ligne droite, lorsqu'un ballon rond et rouge se glisse entre les barreaux et souille de ce bruit impur la paix du lieu. Au bord du soupirail, un enfant se penche, scrute la pénombre. Il fait jour et pourtant ici, c'est le royaume de l'ombre.
Il commence à pleurnicher. On dirait un chat qui miaule.
Une main fait son apparition au bord de la fenêtre, une main blanche et fine qui tient entre ses doigts le ballon, rond et rouge. L'enfant le saisit, la main disparaît. Pourtant il croit voir, quelque part derrière, dans l'obscurité, deux yeux d'un pourpre flamboyant. Alors il murmure: "Merci madame dans l'ombre..."

Les mots résonnent dans son esprit. Ses yeux brillent, une larme perle à l'extrémité de sa paupière. Elle l'essuie d'un revers du poignet. Puis reprend, inlassable, son travail...

Le temps s'écoule, la journée traîne.
Midi sonne au cloché de la cathédrale. Elle n'a pas faim, elle n'a pas soif. Tout son corps n'est tendu que vers une seule chose. Ce sourire qui peu à peu se redessine.
Les touches d'ivoire et d'ébène, si différentes et pourtant si indissociables qui s'imbriquent les unes après les autres, qui trouvent une place. Leur place.
Le sourire de l'ombre lui aussi se dessine. Ce n'est pas vraiment un sourire gai. Il n'y a ni fierté, ni bonheur. Simplement un constat, celui du travail bien fait.

Un troupeau de mendiants suit la carriole d'un boucher un peu distrait qui sème ses saucisses. L'odeur l'écœure, elle se terre au fond de son antre, attendant que cela passe. Une brise légère semble vouloir lui apporter un peu de soutien, et dissout les effluves nauséabondes tandis que le soleil dispense ses derniers rayons.
Elle se hâte, elle se presse. Sur la toile rêche, il ne reste plus qu'une touche. La dernière, la clef de toutes les autres. Fébrile, elle l'insère doucement entre le bois et l'ivoire. La touche se bloque. Elle ne force pas, elle réaligne l'ivoire dans son encoche, pousse du bout des doigts. Un léger bruit, celui d'un mécanisme bien huilé. Et le tour est joué...

Un dernier rayon illumine son œuvre. Dans un coin de la pièce, l'ébène flétri et l'épicéa dénudé de sa couverture d'ivoire, brûlent. Les flammes montent, lèchent le bord d'un mur de pierre. Deux mains noircies se réchauffent au dessus du foyer.

Au centre de la pièce...

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Message  Piping Jeu 12 Fév - 19:01

Les flammes se sont éteintes.
Le froid a repris ses droits, et avec lui, la nuit.

Un mince croissant de lune, dispense l'unique lumière de cette nuit.
On entend rien. Pas de rats, pas de chats, pas le ronflement d'un mendiant ou les pas rapides de deux amants. Rien, pas le moindre bruit.
La pénombre libère la courbe d'une nuque penchée. Les doigts déliés de la pianiste prête à délivrer sa mélodie. L'ovale d'un visage derrière un voile de cheveux roux. L'arrondi d'une fesse dénudée. Le galbe glacée d'un sein. Un corps. Nu. Celui de l'ombre...

Musique... Maestro.

Un son. L'ivoire.
Un autre. L'ébène.

Une brise légère dans cette crinière de flammes. Le vent écoute à son tour. La mélodie s'envole, vogue sur l'échine frissonnante, épouse le temps d'un souffle la courbe gracile des hanches.
L'ombre est emportée bien loin. La lune éclaire la scène d'une lueur blafarde. Elle ne peut faire mieux. Et même sa beauté paraît fade à côté de ces trilles mélancoliques. Alors, elle se laisse bercer, au son de ce piano, au son de cette (re)naissance musicale. L'alliance du beau et du savoir. Une perfection éphémère qui puise sa beauté dans l'instantanée.

Les toits se couvrent de nuages gris.
Les paupières se ferment, tout le monde dort. Seule. L'ombre reste éveillée. Assise devant son piano, elle ne veut plus faire demi tour. Laissez-la s'éloigner, loin si loin, par cette porte de sortie providentielle. Oublier, les chagrins, les larmes et les malheurs. Ils dégoulinent le long de ses joues, et se glissent sur le sol déjà jonché de débris. Ils fuient ce qu'elle a appelé son bonheur, sa liberté. Liberté de jouer, liberté d'écouter.

Elle renifle. Ses sentiments inavoués, ses non-dits, ses mensonges, son ennui. Elle oublie... Pour mieux se rappeler, et pardonner.
Son cœur saigne. Son esprit aussi. Son corps... n'en parlons pas. Mais la vengeance s'est faite discrète, si petite qu'aujourd'hui on ne la voit plus. La rancune? Évaporée. Ne reste que la douleur. L'enfermement. Mais y croirez-vous... Ce soir elle est libre. Derrière ses barreaux, au fond de ce trou, humide et sombre. Elle est libre.
Et dans sa tête, toujours les même mots... Toujours.

Libre.
Libre.
Libre.
Libre!

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